lundi 25 mars 2024, par Jack
De nombreuses écoles accueillent des Elèves déplacés internes (EDI) sur l’ensemble du territoire. Au lycée Wend Puiré de Saaba, ils sont 118 élèves déplacés internes à suivre les cours cette année académique 2023-2024. Sans distinction de statut, ces EDI tentent de s’accrocher au savoir qui leur a été retiré pendant un moment en raison de l’insécurité.
Oumpougla Yonli a vu sa vie et celle de sa famille basculer il y a deux ans. Au cours d’une nuit dans son village situé à une vingtaine de kilomètres de Diapaga, dans la province de la Tapoa, les terroristes font irruption. La mairie, ainsi que certains services publics, sont incendiées. Les enseignants n’attendent pas le tour des écoles pour se sauver. Avec sa famille, il a dû se résigner à partir pour sauver sa vie. « Les écoles ont fermé chez nous et nous étions obligés d’aller continuer les études ailleurs. Là-bas aussi, il y a eu les frappes de terroristes et nous avons passé pratiquement trois mois sans professeurs. Nous avons donc dû abandonner l’école pour venir ici. Avant de recommencer les cours, parfois on mendiait pour avoir de l’argent », se remémore l’élève déplacé interne en classe de terminale D au lycée Wend Puiré de Saaba. Comme lui, ils sont nombreux à bénéficier de cet accueil dans l’établissement. La majorité de ces élèves déplacés internes, ici, sont à un niveau d’études secondaires.
En classe de terminale D, Kanfiéni Ouoba et Dadjoa Tankoano eux aussi venus de la zone de Diapaga, ont presque vécu les mêmes évènements que leur camarade Oumpougla Yonli. Même si, selon eux, leurs camarades et leurs familles d’accueil les ont adoptés, ils auraient préféré venir à la capitale après l’obtention du baccalauréat. « Vu les notes que nous gagnons aux devoirs, ça ne va pas comme nous le voulons. Quand nous pensons à nos parents qui souffrent, nous ne pouvons pas bien nous concentrer sur nos études. En tout cas nous sommes trop traumatisés par rapport à ce que nous avons vécu », exprime avec désolation Kanfiéni Ouoba.
A en croire Dadjoa Tankoano, qui étudiait dans un lycée départemental de la Tapoa, les terroristes avaient menacé d’attaquer les écoles. C’est ainsi qu’il s’est déplacé à Fada N’Gourma puis à Ouagadougou. « J’ai commencé les cours ici le 29 octobre 2023 quand mes camarades avaient déjà commencé. Mais par la grâce de Dieu, nous avons eu l’encouragement des autres qui nous ont permis de rattraper les leçons. »
De divers horizons
Le représentant de tous ces EDI dans l’établissement fait savoir que les débuts n’étaient pas faciles. D’abord, trouver ses repères en classe n’a pas été chose facile pour lui. A majorité venus de localités éloignées et précaires en matière d’éducation ils ont eu des efforts doubles à faire. « En tant qu’élèves déplacés, les cours qu’on nous donne sont différents de ceux qu’on suivait dans nos écoles d’origine. Les programmes sont les mêmes mais le rythme est rapide », explique Zoumana Ouédraogo en classe de terminale D qui vient de la zone de Kongoussi. Le jeune élève a vu la situation sécuritaire de sa localité se dégrader au fil du temps. Selon lui, certains enseignants qui ont été victimes de menaces ont dû partir, les obligeants ainsi à trouver une alternative. Son grand frère qui habite la commune de Saaba l’a alors accueilli pour lui permettre de continuer l’école.
« Je me sens très bien. Je suis heureuse grâce à mes amis et à mes professeurs. J’arrive à bien suivre les cours et je n’ai pas de problème » exprime la jeune Adama Barry. En classe de terminale A4, elle est venue de la province du Bam, avec ses parents pour s’installer à Saaba. La jeune élève aimerait repartir chez elle lorsque la situation va se calmer. Elle demande aux uns et aux autres de faire comme le lycée et de les accueillir. « Ce n’est pas une situation qui nous fait plaisir. Nous étions en paix et nous n’avions pas de problèmes. Si la situation change nous allons repartir parce que malgré l’accueil chacun est plus à l’aise dans son village », a-t-elle soutenu. Elle affirme se sentir chanceuse parce que certaines de ses amies n’ont pas eu la chance de se déplacer comme elle.
Au-delà de l’accueil, le soutien
C’est par le biais du ministère de l’Éducation nationale que ces élèves ont été intégrés au lycée Wend Puiré de Saaba. Etant nombreux et dans des conditions peu reluisantes, les élèves se sont déclarés à la direction provinciale du Kadiogo. Le proviseur du lycée Wend Puiré explique qu’en raison de sa situation périphérique, la commune rurale de Saaba compte de nombreux déplacés internes. C’est la raison pour laquelle l’établissement a été approché pour accueillir ces derniers. « La direction provinciale du MENAPLN nous a demandé notre capacité d’accueil que nous avons indiqué », confie Socrate Jean Vincent Bationo. Selon lui, des initiatives ont été développées pour leurs permettre de suivre normalement les cours. « Nous avons très tôt bénéficié de soutien de la part des encadreurs de la vie scolaire et des professeurs. Je peux dire que ces jeunes se sentent chez eux et que pour le moment tout se passe bien », fait savoir le proviseur. Néanmoins, il en appelle aux bonnes volontés pour soutenir les élèves. A l’interne déjà, le personnel avait cotisé pour doter ces élèves de kits scolaires (https://lefaso.net/spip.php?article128754) lors de la journée de la femme du lycée.
Selon dame Tarpaga qui enseigne ces élèves dans différentes classes dans la matière de français, les difficultés ne manquent pas. Généralement arrivés le train en marche, les élèves déplacés, qui ne manquent pas d’intelligence, sont désorientés. L’enseignante qui fait aussi office de psychologue doit faire appel à une pédagogie différenciée dans son travail. De plus, ceux qui ont décroché pendant longtemps ont une progression lente. « Ce sont des élèves le plus souvent très timides qui ne prennent pas la parole mais nous avons des stratégies pour les motiver à la prise de parole. Nous les interpellons, nous les entourons, nous leur racontons des histoires pour leur faire oublier un peu et aussi personnellement je prends attache avec ces personnes-là pour leur apporter des explications parce qu’ils n’ont pas le même niveau que les autres. Donc à la récréation je les approche pour échanger par rapport au programme et je leur donne des conseils et un appui particulier. »
En termes de besoin didactiques, elle ressort les livres et annales surtout pour ceux qui sont en classe d’examen. De son avis, ce sont des élèves qui, à travers leur résilience et leur attachement à l’école, prouvent qu’ils souhaitent réussir. Néanmoins, il leur faut une bonne dose d’assurance, d’encadrement et de soutien matériel pour que la situation sécuritaire n’ait pas raison d’eux.
Farida Thiombiano
Lefaso.net