Suivez-nous
Accueil > Actualité > Ouagadougou : « Ana na yélé », le canal de tous les dangers pour les élèves

Ouagadougou : « Ana na yélé », le canal de tous les dangers pour les élèves

vendredi 8 février 2019, par Pascal YE

Un cours d’eau transformé en canal suite aux inondations du 1er septembre 2009 dans la ville de Ouagadougou, à l’intersection de trois quartiers de la capitale : Bendogo, Kossodo et Wayalghin. C’est ce passage pas sûr que certains élèves traversent pour aller à l’école publique de Kossodo. Le risque est permanent pour les mômes. Mais entre indifférence des usagers, échec de sensibilisation des encadreurs et entêtement des enfants, les regards sont tournés vers les autorités compétentes. Il faut agir avant qu’un drame ne survienne.

Il est environ 6h50. Les rues de la capitale commencent à gronder de monde. Les enfants surgissent de différentes ruelles et convergent vers le canal qui les sépare de l’école publique de Kossodo, un quartier situé dans l’arrondissement N°10 de Ouagadougou. Ce passage d’eau est communément appelé « Ana na yélé », qui signifie « qui va dire » en langue mooré.

Nous observons la scène jouée par les jeunes riverains. Certains remontent le bas de leurs pantalons, d’autres ajustent leurs jupes et s’engagent à pieds pour traverser le canal. Pour ceux qui le peuvent encore, il faut faire quelques sauts sur les pneus déposés avant de franchir la ligne d’arrivée les pieds dans l’eau.

Comme mesure de sécurité, certains élèves portent des chaussettes et une fois la traversée terminée, ils les ôtent, les rincent et les rangent dans leurs sacs à dos avant de continuer à l’école. Ces scènes peuvent durer de 20 à 25 minutes. En tout cas, jusqu’à ce que la cloche sonne à 7h30.

« C’est un raccourci, quoi ! »

Notre présence en ces lieux intrigue les élèves et certains n’hésitent pas à fuir quand nous tentons une discussion avec eux. Quelques-uns se prêtent volontiers à nos questions. Selon eux, il n’y a pas de raison particulière qui justifie qu’ils empruntent cette voie, seulement que leurs maisons se trouvent de l’autre côté du canal.

Dans le sens inverse aussi. Un élève, relativement âgé, descend dans le canal avec son vélo, vêtu de son uniforme. Kader Soubéiga, en classe de 3e au LPO, a fait le sens contraire, car son école se trouve vers le quartier Bendogo. Pourquoi vous ne passez pas par le pont ? Trouvant la question un peu curieuse, il nous répond : « C’est un raccourci, quoi ! ». Pour lui, c’est donc logique. Alors nous insistons pour lui faire savoir les éventuels dangers qu’il encourt en traversant le passage d’eau. « Ça peut l’être, mais comme on a l’habitude d’entrer ici à chaque fois-là oh, je pense que ça peut aller », a-t-il répondu, cette fois avec un ton un peu coupable.

Une pratique de longue date…

Quand l’on assiste à une telle scène pour la première fois, on n’en revient pas. Pourtant, la pratique ne date pas d’aujourd’hui. « Vraiment, il y a très longtemps, c’est avant l’existence du canal même. C’était un passage pour les enfants qui quittaient un autre secteur pour venir à l’école. Et depuis que le canal a été construit, les enfants continuent de passer par là », nous confie le président de l’Association des parents d’élèves (APE) de l’école Kossodo A, Emmanuel Compaoré.

Et ce ne sont pas les riverains qui diront le contraire. « Ça fait très longtemps que je bosse ici, je les observe. Je constate que c’est un chemin très dangereux et il ne faut pas attendre que cela cause des dégâts avant de chercher une solution. Ils traversent chaque fois ce canal parce qu’ils ne veulent pas contourner », relate un étudiant qui vient réviser ses cours à proximité du canal.

Dès sa prise de fonction dans cette école en octobre 2012, Emeline Ouarma, enseignante en classe de CP1 A, s’est rendue compte qu’il y a des enfants qui traversaient le canal pour venir à l’école. Ce sont notamment les élèves des quartiers Bendogo, Nioko et Wayalghin.

Un passage en saison sèche ou pluvieuse ?

A quelles périodes de l’année les élèves empruntent-ils ce chemin dangereux ? Selon le directeur de l’école Kossodo A est claire : « Les élèves traversent le canal sauf pendant la saison pluvieuse où, avec la quantité d’eau qui coule, ils n’en n’ont pas la possibilité ». Mais à en croire l’étudiant qui est fréquent aux abords de ce canal, la version est différente : « Pendant la saison sèche, on peut dire que ça va, il n’y a pas de danger à encourir, c’est seulement la boue. Mais au début de la rentrée scolaire, pendant l’hivernage, les enfants forcent le passage malgré la présence de l’eau. Souvent, certains arrivent au milieu et ils ont peur, ils pleurent, et ce sont les autres qui viennent leur tendre la main pour les faire sortir », relate le témoin de toutes ces scènes.

« L’être est aussi ce qu’il est »

Si cette pratique ne date pas d’aujourd’hui, et puisque les jeunes apprenants prennent des risques pour aller à la recherche du savoir, que fait l’école, qui est au courant, pour éviter la survenue d’un drame ?

« Au niveau de l’école, on n’a pas d’autres solutions, à part la sensibilisation et les entretiens avec les élèves et leurs parents afin qu’ils prennent les mesures appropriées. C’est tout ce que l’on peut faire », explique Idrissa Sibiri Ouédraogo, directeur de l’école Kossodo A.

En termes de sensibilisation, le président de l’Association des parents d’élèves nous apprend que lors des rencontres, il a été explicitement demandé aux parents de déconseiller à leurs enfants de passer par ce chemin si risqué.

En classe, les conseils n’ont pas manqué. Et ce, pendant des années. Finalement, l’heure est à la résignation. C’est le cas d’Emeline Ouarma : « Nous leur donnons des conseils en leur recommandant d’éviter de rentrer dans le canal surtout en saison des pluies. Mais si on leur demande de faire le tour, c’est difficile aussi. Pour un enfant qui est pressé d’aller à l’école, il est obligé de passer par le canal ».

Mais pourquoi les faits se répètent ? « Vous savez, l’être est aussi ce qu’il est. L’enfant a aussi sa nature », note pour sa part Idrissa Sibiri Ouédraogo, en montrant combien il serait difficile d’amener ces élèves à changer d’habitude.

Un élève tué dans ce canal

A défaut d’interdire aux enfants de traverser le canal, certaines personnes encore « soucieuses » retiennent quand même leur souffle au moment du passage des élèves. « De fois, quand je les regarde, j’ai envie de dire ‘Non ! Il ne faut pas passer’. Mais je sens qu’ils ne vont pas m’écouter. Ainsi, lorsqu’ils veulent traverser, je les observe, quitte à ce qu’ils finissent de traverser avant que je ne continue ma lecture », nous confie notre étudiant qui a requis l’anonymat.

Il y a eu des cas malheureux dans l’histoire de ce canal, avec ces risques que prennent les élèves. Selon l’enseignante de CP1 A, un de ses jeunes apprenants y a perdu la vie. « A mon arrivée en 2012, un élève de ma classe a été tué suite à une agression à cet endroit », se souvient-elle.

Qui va conseiller qui ?

Au moment où nous étions en reportage dans le canal, un conducteur de tricycle descend avec son engin. Curieux de savoir ce qu’il pouvait bien faire à un tel endroit, nous le voyons traverser également. Le tout, dans une acrobatie dont lui seul a le secret.

A cette même occasion, un monsieur apparaît. Malgré notre appareil de tournage, il nous salue respectueusement. Cigarette à la bouche, il se met à plier le bas de son pantalon et commence sa traversée dans l’eau.

Ces deux scènes vécues en l’espace de dix minutes nous ont fait comprendre que ce chemin n’est pas seulement celui des élèves de l’école de Kossodo.

« Il faut peut-être prévoir une ou deux passerelles »

Tous nos interlocuteurs ont unanimement proposé la construction d’une passerelle au moins, comme solution. L’étudiant trouve déjà « pas mal » la présence de deux ponts des deux côtés, mais l’école se trouve au milieu. « S’il y a une possibilité de mettre un pont juste pour le passage des piétons, ça va être très bien et les enfants vont beaucoup apprécier », a-t-il suggéré. C’est aussi l’avis d’Emmanuel Compaoré. « C’est de voir avec les autorités actuelles si possible de mettre des passerelles à la disposition des enfants pour qu’ils ne puissent plus passer par le canal », ajoute-t-il.

Même son de cloche du côté du directeur de l’école de Kossodo A, Idrissa Sibiri Ouédraogo : « Ce qu’on peut faire dans l’avenir, il faut peut-être prévoir une ou deux passerelles afin que les enfants passent dessus. Et là même, il faut que les techniciens réfléchissent bien. Il faut prévoir des garde-fous très solides et peut-être même plus élevés, pour prendre en compte les enfants ».

Le président de l’APE, Emmanuel Compaoré, lui, propose d’abord une autre forme de sensibilisation. Pour lui, il faut voir avec toute l’équipe d’encadrement enseignants-parents d’élèves pour qu’au sortir des écoles, l’on les sensibilise encore et en les raccompagnant à la maison. Mais en passant par le pont.

Quant à l’enseignante Emeline Ouarma, elle voit la solution sous un autre angle. Il faut inscrire les mômes près de chez eux, où l’accès sera sans risque. « Je me dis que s’il y avait beaucoup d’écoles, ils n’auraient pas à traverser ce canal pour venir ici », estime-t-elle.

Construire une passerelle ou ouvrir d’autres écoles. Voilà ce qui pourrait réduire le risque que ces enfants encourent chaque jour sur le chemin de la quête du savoir. Il faut agir. Ne pas attendre le pire.

Cryspin Masneang Laoundiki
(lcryspin@yahoo.fr)
LeFaso.net

Vidéo de la semaine

Sorties de la sémaine

Education : L’état d’esprit dans le processus de réussite de l’enfant

L’un des plus grands impacts sur notre réussite est la façon dont les pensées, les (...)
FOCUS
Sorties de la sémaine

ciné Nerwaya

  • Du Lundi au Vendredi :
  • Week-end :

ciné Burkina

  • Du Lundi au Vendredi :
  • Week-end :

CCF

  • Du Lundi au Vendredi :
  • Week-end :

CENASA

  • Du Lundi au Vendredi :
  • Week-end :

Autres centre

  • Du Lundi au Vendredi :
  • Week-end :
Offre d'Emploi

Jeunesse Du Faso

LeFaso.net © 2003-2013 Jeunes Du Faso ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés